Épisode 10
Pas le temps ?
- Le jeûne intermittent alterne périodes de jeûne et de repas, avec des formes comme le jeûne périodique et l’alimentation à temps restreint (TRF).
- La TRF, en réduisant la fenêtre alimentaire, crée un déficit calorique, facilitant la perte de poids sans trop changer ses habitudes alimentaires.
- Des études récentes montrent que la TRF peut induire une perte de poids similaire à celle en comptant ses calories. S’attendre aussi à d’autres bénéfices santé.
- La TRF peut toutefois entraîner une perte de masse maigre, liée à une possible contrainte de temps limitant la consommation adéquate de protéines.
- Le jeûne intermittent peut être dangereux pour certaines personnes, notamment celles atteintes de diabète ou prenant des médicaments. La prudence est donc nécessaire…
J’ai pratiqué le jeûne intermittent pendant plus d’un an (et dans sa meilleure variante, nous le verrons plus tard). Verdict ? Avant de vous répondre et en reprenant la formule favorite d’un proche : « pour quoi faire ? ». En fait, dans mon cas, ce n’était pas tant pour perdre du poids que pour bénéficier des autres bienfaits pour la santé (et au passage “reposer” mon système digestif – toujours contrariant – avant de dormir). Alors ? Patience… Mais promis, je ne ferai pas de mauvais jeux de mot, ni sur jeûne, ni sur intermittent, ce n’est pas un spectacle…
Qu’est-ce que le jeûne intermittent ?
Le jeûne intermittent1 est une pratique alimentaire qui consiste à alterner périodes de jeûne et périodes de repas dans un schéma spécifique. Plutôt qu’une diète (quoi manger) ou un régime alimentaire (combien manger), c’est un modèle d’alimentation qui peut prendre différentes formes (ou en simplifiant : quand manger) :
- Jeûne périodique : Il s’agit d’un jeûne complet (dit plutôt hydrique puisque l’apport en eau – sans calories – y est indispensable) ou « modifié » (où l’on s’autorise 25 % de l’apport énergétique journalier habituel) sur une période minimale de 24 h. Ses variantes les plus connues sont le jeûne alterné (1 jour sur 2) et le « 5:2 » (2 jours sur 7, non consécutifs).
- Alimentation à temps restreint ou TRF pour time-resricted feeding : Jeûne suivi d’une fenêtre alimentaire de quelques heures, censée nous rapprocher de notre cycle circadien naturel. Sa variante la plus pratiquée est le « 16:8 », le placement des 8 h d’alimentation faisant débat entre efficacité métabolique (matin) et praticité sociale (repas convivial du soir).
C’est la TRF qui nous intéresse ici. Pourquoi ? Parce que c’est celle qui est la plus simple à mettre en place (le jeûne périodique est psychologiquement plus difficile à suivre) et c’est le principal argument de la pratique !
Compter ses heures plutôt que ses calories
Nous mangeons généralement sur une fenêtre de 12 à 14 h. En retirer 6, c’est créer presque mécaniquement un déficit calorique : moins de temps pour manger, c’est moins d’apport à la fin de la journée. L’avantage par rapport aux régimes alimentaires, fondamentalement focalisés sur la restriction calorique (c’est-à-dire le comptage des calories pour induire un déficit calorique), c’est qu’on ne change rien à son alimentation pendant ladite fenêtre.
Est-ce que ça marche pour perdre du poids ? Plutôt oui ! Certains résultats étaient déjà positifs mais pas forcément concluants puisqu’on ne pouvait pas déterminer s’ils étaient le fruit d’un effet de transition court terme2 ou de la restriction calorique3. Toutefois, une étude publiée en 20224 proposait un recul d’un an. La perte de poids induite (de 5 %) est similaire à celle qu’on aurait eue en comptant ses calories.
Critique – non négligeable – que je pourrais faire c’est que les participants bénéficiaient d’un accompagnement nutritionnel individualisé (avec des techniques comportementales et cognitives que l’on sait efficaces, comme rappelé dans l’Épisode précédent) ! Autre reproche possible, mais cette fois-ci compréhensible, la fenêtre alimentaire était de 12 h à 20 h : c’était pour limiter le taux d’abandon du protocole. Pourtant, une étude5 avait démontré les bienfaits métaboliques d’une alimentation matinale, donc de 8 h à 16 h, au passage la variante que j’avais pratiquée…
Y aurait-il d’autres bienfaits ? Sur ce point, il faut se méfier des études concluantes… sur des animaux (par exemple sur la prévention du cancer ou du vieillissement). Et nous allons aussi laisser de côté celles qui sont plutôt liées au déficit calorique qui en est une conséquence. Qu’est-ce que l’on peut donc dire aujourd’hui ?
- Selon une étude6, le jeûne intermittent permettrait de réduire la résistance à l’insuline et donc de la glycémie, ce qui viendrait expliquer cette perte de poids facilitée (la faible glycémie permet de rendre la graisse corporelle plus accessible). On pourrait aussi rappeler une plus ancienne étude7 identifiant une multiplication par 5 des hormones de croissance, ayant le même effet sur le poids.
- Une méta-analyse de 20208 montre une réduction des marqueurs de l’inflammation, un facteur clé de nombreuses maladies chroniques. On peut y ajouter une autre de 20219 sur les facteurs de risque cardiométabolique.
- Par ailleurs, pour les plus curieux d’entre vous, je vous invite à jeter un coup d’œil à une étude plus récente10 et fascinante mettant en évidence l’influence du jeûne périodique sur l’expression génétique…
Une approche efficace mais pas pour tous…
Ça ne semblait pas particulièrement être abordé dans l’étude sur la perte de poids déjà citée mais une précédente de 202011 avait mis en évidence le fait que le groupe qui avait suivi le protocole TRF avait perdu 2 fois plus de masse maigre que la normale (quand on perd du poids, on perd aussi du muscle). Une des explications possibles est que la contrainte de temps ne permet pas de consommer assez de protéines, dont nous avons déjà loué les nombreux bienfaits. Une solution12 pour atténuer cet effet serait de coupler le jeûne avec du renforcement musculaire.
Et si l’on revenait à mon cas particulier ? Justement, je n’avais pas d’objectif de perte de poids et souhaitais même plutôt prendre en masse musculaire, suivant en parallèle un entraînement régulier. J’avais remarqué que j’arrivais toujours – plus lentement certes – à améliorer mes performances mais que je n’arrivais plus à gagner du muscle (faire de l’hypertrophie). Et encore, mes entraînements étaient effectués le matin, donc pendant ma fenêtre alimentaire. Je ne sais pas ce qu’il en aurait été à jeûn. Ce qui est sûr, c’est que le protocole me forçait un peu à avoir 2 vrais repas plutôt que 3 et que c’était assez difficile de “caser” plus de 60 g de protéines par repas (pour vous donner un ordre de grandeur, ça fait 2 escalopes de poulet, ça va, mais aussi 8 œufs !). Et je ne vous parle pas de mes amis qui me reprochaient de ne rien commander au resto le soir… Mais globalement, je me sentais bien !
Enfin, je prends soin de rappeler que le jeûne intermittent, quelle que soit sa forme, peut être dangereux pour les personnes souffrant de certaines maladies, telles que le diabète. Celles qui prennent des médicaments contre la tension artérielle ou les maladies cardiaques peuvent également être plus sujettes à des déséquilibres de sodium, de potassium et d’autres minéraux alimentaires pendant des périodes de jeûne plus longues que la normale… Aussi, il serait déconseillé pour les adolescents, les personnes souffrant de troubles alimentaires, les femmes souhaitant concevoir, déjà enceintes ou allaitant. Bref, comme d’habitude, dans le doute, consultez un médecin !
Rappelez-vous que si vous souhaitez perdre du poids, pratiquer le jeûne intermittent, en particulier à temps restreint, est une solution efficace. Elle n’est pas forcément efficiente puisqu’elle vous laisse la latitude de couvrir tous vos besoins alimentaires ou pas. Le bénéfice est en fait plutôt comportemental que métabolique. Pour éviter de perdre du muscle, veillez à bien optimiser votre apport en protéines. Je n’ai pas parlé d’une dimension qui mériterait peut-être un focus spécifique : qu’en est-il de l’intérêt mental (ou spirituel) de la pratique, ce que met en avant cette forme d’ascétisme (et que l’on retrouve dans plusieurs religions) ?
Voici un hack perso : bien adapter son dernier repas (avant le jeûne). De sa digestion (que l’on espère lente) dépendra votre capacité à facilement gérer la faim. Pour favoriser cela, je vous invite à l’enrichir de fibres, de protéines ainsi que du bon gras, très satiétogènes…
Fun Fact
Pour ceux, curieux comme moi, qui se demandent combien de temps on peut tenir sans manger (mais en buvant), autrement dit en jeûnant, sachez qu’il y a bien un record Guinness13 pour cela. Angus Barbieri est un Écossais qui a jeûné pendant 382 jours, de juin 1965 à juillet 1966. Il s’est nourri de thé, de café, d’eau gazeuse et de vitamines (quand même !), tout en vivant chez lui à Tayport, en Écosse. Il a ainsi pu perdre 133 kg (passant de 214 à 80,74 kg). On s’en doute, la durée que l’on peut tenir dépend du poids de départ… Et, rien à voir, mais je n’ai pas trouvé de record Guinness pour celui qui en consomme le plus (de la Guinness)…
Pour aller plus loin
Références
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeûne_intermittent ↩︎
- Cienfuegos S, Gabel K, Kalam F, et al. Effects of 4- and 6-h Time-Restricted Feeding on Weight and Cardiometabolic Health: A Randomized Controlled Trial in Adults with Obesity. Cell Metab. 2020;32(3):366-378.e3. doi: 10.1016/j.cmet.2020.06.018. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32673591/ ↩︎
- Liu D, Huang Y, Huang C, et al. Calorie Restriction with or without Time-Restricted Eating in Weight Loss. N Engl J Med. 2022;386(16):1495-1504. doi: 10.1056/NEJMoa2114833. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35443107/ ↩︎
- Zhang Q, Zhang C, Wang H, et al. Intermittent Fasting versus Continuous Calorie Restriction: Which Is Better for Weight Loss?. Nutrients. 2022;14(9):1781. Published 2022 Apr 24. doi: 10.3390/nu14091781. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35565749/ ↩︎
- Jakubowicz D, Barnea M, Wainstein J, Froy O. High caloric intake at breakfast vs. dinner differentially influences weight loss of overweight and obese women. Obesity (Silver Spring). 2013;21(12):2504-2512. doi: 10.1002/oby.20460. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23512957/ ↩︎
- Barnosky AR, Hoddy KK, Unterman TG, Varady KA. Intermittent fasting vs daily calorie restriction for type 2 diabetes prevention: a review of human findings. Transl Res. 2014;164(4):302-311. doi: 10.1016/j.trsl.2014.05.013. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24993615/ ↩︎
- Hartman ML, Veldhuis JD, Johnson ML, et al. Augmented growth hormone (GH) secretory burst frequency and amplitude mediate enhanced GH secretion during a two-day fast in normal men. J Clin Endocrinol Metab. 1992;74(4):757-765. doi: 10.1210/jcem.74.4.1548337. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/1548337/ ↩︎
- Wang X, Yang Q, Liao Q, et al. Effects of intermittent fasting diets on plasma concentrations of inflammatory biomarkers: A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Nutrition. 2020;79-80:110974. doi: 10.1016/j.nut.2020.110974. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32947129/ ↩︎
- Yang F, Liu C, Liu X, et al. Effect of Epidemic Intermittent Fasting on Cardiometabolic Risk Factors: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. Front Nutr. 2021;8:669325. Published 2021 Oct 18. doi: 10.3389/fnut.2021.669325. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34733872/ ↩︎
- Lilja S, Stoll C, Krammer U, et al. Five Days Periodic Fasting Elevates Levels of Longevity Related Christensenella and Sirtuin Expression in Humans. Int J Mol Sci. 2021;22(5):2331. Published 2021 Feb 26. doi: 10.3390/ijms22052331. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33652686/ ↩︎
- Lowe DA, Wu N, Rohdin-Bibby L, et al. Effects of Time-Restricted Eating on Weight Loss and Other Metabolic Parameters in Women and Men With Overweight and Obesity: The TREAT Randomized Clinical Trial [published correction appears in JAMA Intern Med. 2020 Nov 1;180(11):1555] [published correction appears in JAMA Intern Med. 2021 Jun 1;181(6):883]. JAMA Intern Med. 2020;180(11):1491-1499. doi: 10.1001/jamainternmed.2020.4153. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32986097/ ↩︎
- Moro T, Tinsley G, Bianco A, et al. Effects of eight weeks of time-restricted feeding (16/8) on basal metabolism, maximal strength, body composition, inflammation, and cardiovascular risk factors in resistance-trained males. J Transl Med. 2016;14(1):290. Published 2016 Oct 13. doi: 10.1186/s12967-016-1044-0. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27737674/ ↩︎
- https://www.guinnessworldrecords.com/world-records/78789-longest-survival-without-food ↩︎